Un peu rassurant d’entendre les acteurs de terrain aux frontières tenir un langage pragmatique, loin des outrances politiques et médiatiques
Chienlit politique
Il reste 99 jours jusqu’au 29 mars 2019, date à laquelle le Royaume Uni quitte formellement l’Union (minuit à Bruxelles) / 23h00 à Londres). L’accord de ‘divorce’ entre l’UE et le UK signé le 25 novembre n’a toujours pas été approuvé par le Parlement britannique. La Première ministre Theresa MAY a du renoncer à la dernière minute à soumettre le projet au Parlement, devant la certitude qu’elle allait perdre lourdement. Qu’elle ait prise cette décision la veille du vote, après que tous ses ministres aient sillonné le pays pour ‘vendre’ le deal, n’en est que plus humiliant. Cela ne l’empêche pas de continuer à clamer que SON deal est « le meilleur des deal possibles ». Suis-je le seul à observer que le mot le plus important de cette déclaration est « possible » ? A l’instar de VOLTAIRE – « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », Theresa MAY signale-t-elle que, vu l’état du pays depuis le référendum, le seul deal possible est le sien, aussi imparfait soit-il ? Mais le fait qu’il soit condamné par tous – Brexiters, Remainers, Travaillistes, DUP (rare unanimité, tour de force de Theresa MAY) – rend la situation politique intenable.
Le monde des affaires dans son immense majorité a supporté l’accord en se bouchant le nez, uniquement parce qu’il met fin à l’incertitude, en maintenant une sorte de status quo pendant la période de transition jusqu’à fin 2020, peut-être au-delà en cas de prolongement. Cela donnerait à tous un répit pour s’organiser, sans le spectre du « cliff-edge » du 30 mars 2019. Le Parlement est en congé pour les fêtes à compter d’aujourd’hui, et ne siègera à nouveau que le 7 janvier, alors que le pays traverse la plus grave crise depuis plus d’un demi-siècle – un mauvais rêve … Le gouvernement a annoncé que le débat sur l’accord reprendra ce jour-là et le vote aura lieu la semaine suivante, soit entre le 14 et le 18 janvier. On s’approche encore un peu du précipice, selon la technique du « Mon deal ou le chaos ».
Et les entreprises dans tous cela ?
Et la vie réelle entretemps ? La vraie vie des Européens au UK et des Britanniques dans l’UE, qui vivent dans l’incertitude. Les entreprises qui échangent tous les jours entre le UK et le reste de l’UE sans entrave pour l’instant mais sans savoir à quoi elles doivent se préparer – deux ans et demie c’est vraiment très long ! Bref, tous ceux qui contribuent à la prospérité et à la richesse des nations de l’Union (richesse au sens le plus large), loin de la bulle égocentrique de Westminster.
Je ne ferai pas de prédictions (ma boule de Crystal est en grève), mais il y a eu récemment des signaux positifs importants.
Acteurs pragmatiques aux frontières
J’ai été invité à adresser une conférence organisée par la CCI des Hauts de France à Lille début décembre, pour un point d’étape sur les derniers soubresauts du Brexit, sur le mode ‘nouvelles du front’. Les entreprises de la région venaient s’y informer sur l’avancement des négociations et les préparations nécessaires à toute éventualité . Y participaient aussi les trois ports – Boulogne, Calais et Dunkerque – Getlink (Eurotunnel) et les Douanes. S’ils soulignaient tous leur grande inquiétude sur les risques d’engorgement des ports et du Tunnel en cas de no-deal, il est clair qu’il feront tout ce qui est en leur pouvoir pour fluidifier le trafic. Les Douanes font des séances d’informations ciblées à destination des exportateurs qui travaillent uniquement avec l’UE – ils ne sont pas familiers avec les procédures pays-tiers, c.-à-d. le UK dès le 30 mars en cas de no-deal.
Si je souligne ici ce qui semble une évidence, c’est pour contraster cette attitude avec la perception largement relayée par certains medias britanniques et une partie de la classe politique que les Français vont faire le blocus de leur ile – le bon vieux French-bashing a la vie dure… Alors qu’en réalité, la France ne ferait qu’appliquer les règles du marché unique et de l’union douanière qui gouvernent les relations avec les pays tiers, ni plus ni moins. La géographie place simplement la France en principal point de contact UK-UE. Les ports et Douanes britanniques feront aussi tout leur possible, dans la limite de leurs moyens, pour maintenir la fluidité du trafic, c’est évidemment dans leur intérêt.
Il est donc un peu rassurant d’entendre les acteurs de terrain aux frontières tenir un langage pragmatique, loin des outrances politiques et médiatiques. Il demeure bien sûr le spectre du no-deal, résultat de la stupéfiante paralysie politique britannique des 30 derniers mois.
Mesures d’urgence de l’UE
L’Union Européenne a publié le 19 décembre ses propres mesures d’urgence en cas de no-deal au 29 mars. Loin de couvrir tous les secteurs, et en l’absence d’approbation de l’accord signé le 25 novembre, ces mesures tentent essentiellement d’assurer le ’service minimum’ pour quelques mois, dans certains domaines financiers ; le transport aérien ; l’import-export de certaines marchandises (procédures simplifiées) ; les normes environnementales, entre autres. Si c’est bien loin du maintien du status quo de la période de transition prévu à l’accord du 25 novembre, le spectre du Royaume Uni totalement coupé du monde le 30 mars s’éloigne un peu.
2018 pénible !
Dans ce dernier billet de 2018, je souhaite à tous mes lecteurs de très bonnes fêtes de fin d’année, pour vous et tous ceux qui vous sont chers.
Je quitte sans regret une année 2018 très *pénible* – pour reprendre l’expression de l’ancien capitaine du XV de France Fabien PELOUS, quand il évoquait l’équipe d’Angleterre après un match du tournoi des 6 Nations assez relevé – montrant ainsi un art de l’understatement très britannique.
Je vous laisse donc sur cette note rugbystique, RV à Twickenham où j’aurai la chance d’aller soutenir le XV de France le 10 février. Bonne année 2019, allez les Bleus !
Olivier MOREL
20 décembre 2018