Une entente redevenue cordiale ?

France et Royaume-Uni sont des partenaires très proches, avec une histoire millénaire et indissociable, et finalement très similaires dans bien des aspects

J’ai été sollicité comme Président du Comité UK des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCEF) pour contribuer à un numéro spécial France – Royaume-Uni du magazine Inspir’ du MEDEF Paris. Cette édition est publiée sous le haut patronage de SE Mme Hélène Duchêne, Ambassadrice de France au Royaume-Uni et Dame Menna Rawlings DCMG, Ambassadrice du Royaume-Uni en France. Le magazine paraît ces jours-ci, j’en publie ici la version longue, la Director’s Cut, à l’occasion de la visite en France des souverains britanniques. Une bonne excuse pour reposer quelques fondamentaux d’une relation si particulière.


Les spécificités du marché britannique

M. Olivier Morel, Président des Conseillers du Commerce Extérieur de la France au Royaume-Uni (CCE UK)

Je suis avocat français et solicitor anglais, associé de Cripps, cabinet britannique. Je suis né en France et binational, établi au Royaume-Uni depuis plus de 35 ans, CCE depuis 1999, et président du Comité UK. Nous comptons quelque 65 membres, représentant des groupes français présents au Royaume-Uni, nous avons aussi des membres dans des postes de direction de groupes internationaux ou de sociétés britanniques. Cela nous offre une vision concrète, au plus près de l’activité économique de ce pays et de ses grands enjeux. Nous mettons cette vision unique au service des pouvoirs publics et des entreprises françaises.

1) France et Royaume-Uni – Deux pays plus similaires qu’on ne le croît

Les économies de la France et du Royaume-Uni sont structurellement très proches, avec un secteur tertiaire très significatif dans les deux pays, représentant 75-80% de l’économie ; le secteur secondaire comptant pour 15-18% ; et un secteur primaire très modeste, tant en emplois qu’en proportion du PIB dans les deux pays. France et Royaume-Uni sont aussi des partenaires très proches, avec une histoire millénaire et indissociable, et finalement très similaires dans bien des aspects : la France et le Royaume-Uni ont une histoire coloniale qui pèse encore aujourd’hui ; ce sont les seules puissances nucléaires en Europe de l’Ouest ; deux membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations-Unis ; la taille de nos populations et nos économies est extrêmement proche. Cela rend la comparaison et le parangonnage de nos deux pays très pertinents, une particularité que nous exploitons dans nos missions au service des pouvoirs publics et des entreprises.

Nous avons aussi des échanges commerciaux très denses depuis longtemps, la France et le Royaume-Uni sont à la fois d’importants clients et fournisseurs de l’un et de l’autre : pré-pandémie (2019), le Royaume-Uni était le 6eme client et le 7eme fournisseur de la France ; celle-ci était le 5eme fournisseur du Royaume-Uni avec 13% de parts de marché à l’époque. Au même moment, le Royaume-Uni représentait le premier excédent commercial de la France. La pandémie, et certains effets du Brexit, ont quelque peu modifié ces équilibres, mais les grandes tendances restent les mêmes.

On notera enfin la convergences des priorités économiques et stratégiques de nos deux pays dans cette première moitié du 21eme siècle : défis climatiques ; décarbonation de l’économie combinée avec la croissance verte et la mobilité électrique ; énergies renouvelables ; Intelligence Artificielle (avec une saine concurrence France-RU !) ; nouveaux équilibres militaires européens suite à l’agression russe en Ukraine; menaces terroristes ; préparation aux pandémies ; posture face à la Chine ; défis migratoires – excusez du peu !

2) Combien d’entreprises ou filiales françaises sont-elles installées au Royaume-Uni et dans quelles filières ?

Reflètant cette grande densité de nos relations commerciales, la présence des entreprises françaises au Royaume-Uni est historiquement très importante, et de manière pérenne – 3 600 filiales de groupes français, employant 425 000 personnes (statistiques 2020). La présence française étant donc très significative, c’est sans surprise que les sociétés hexagonales sont présentes dans une grande variété de secteurs : banque, finance et assurance ; industrie du luxe ; agro-alimentaire / vins & spiritueux ; BTP / infrastructures ; transports ; énergie ; l’écosystème britannique de la tech est également très sophistiqué, et représente toujours le pôle le plus important d’Europe, attirant les acteurs français du secteur (même si la France met les bouchées doubles pour rattraper son retard) ; enfin les métiers du capital investissement sont très présents au Royaume-Uni, la place de Londres attirant naturellement de nombreux acteurs français.

Il faut aussi signaler la construction de la première centrale nucléaire du pays depuis trois décennies à Hinkley Point dans le Somerset, sous la maîtrise d’œuvre d’EDF Energy. Les deux réacteurs EPR de ce projet emblématique sont appelés à alimenter en électricité quelque 6 millions de foyers britanniques, et représentent la renaissance de l’énergie nucléaire civile dans un pays qui avait été un pionner du genre – le premier réacteur commercial au monde en 1956 fut britannique.

3) Brexit, quels effets réels sur la présence française ?

A contrario de certaines prédictions un peu hâtives, le Brexit n’a pas conduit à l’exode massif des entreprises étrangères, y compris françaises, et des ressortissants de notre pays dans la foulée du vote de juin 2016. On peut cependant noter un tassement des implantations de TPE / PME post-Brexit et post-pandémie. Alors que cette dernière en avait masqué certains effets – la moins grande fluidité des échanges étaient-elles dues à la COVID 19 ou aux effets du Brexit ? – il s’avère avec le temps que le Brexit a des effets négatifs à moyen et long terme de plus en plus saillants. Dans ce contexte, la France a détrôné le Royaume-Uni (sur la première marche du podium depuis de nombreuses années) en terme d’attractivité pour les entreprises étrangères en Europe, avec un nombre plus important de projets d’investissements directs étrangers (FDI). Si les acquisitions de cibles britanniques par des groupes français continuent – sans grandes tendances sectorielles discernables – le pays a perdu de son lustre pour beaucoup de jeunes français, diplômés ou pas, qui trouvaient à Londres un marchepied commode et séduisant vers une mondialisation heureuse à deux heures de Paris. Si Londres est loin d’avoir perdu son statut de ville-monde, les effets indirects de Brexit se font sentir différemment: la sortie du Royaume-Uni du programme d’échange universitaire Erasmus, ou la quasi-impossibilité de trouver les ‘petits-boulots’ et autres stages qui faisaient le bonheur des étudiants et jeunes chômeurs français, pourraient éroder l’attractivité de cette capitale et de ce pays à moyen et long terme. Malgré tout, la sortie du dernier confinement qui a suivi la pandémie a vu un retour massif des touristes français au Royaume-Uni, Londres en tête.

Evènements de deuil national et international, le décès et les obsèques de la Reine Elizabeth II à l’automne 2022 ont sans doute aussi contribué à un certain renouveau de sympathie envers ce pays de la part de nombreux Français. Par leurs rayonnements planétaires, ces cérémonies pour lesquelles les britanniques sont sans égaux, ont mis du baume à l’image du pays, écornée par le spectacle politique déliquescent des années qui ont suivi le référendum de juin 2016 qui a conduit à la sortie de l’UE. La coïncidence avec le retour au pouvoir d’un gouvernement plus ‘normal’ après des années turbulentes ne peut que contribuer à un climat d’affaires plus apaisé, et plus susceptible d’inspirer la confiance d’investisseurs français et étrangers.

4) Quelles sont les spécificités du marché britannique et les principales opportunités pour les entreprises françaises ?

Pêle-mêle, quelques retours d’expérience à destination des entrepreneurs tentés par le marché du Royaume-Uni, et des leçons à en tirer.

Un marché compétitif où personne ne vous attend. On ne peut pas se contenter de l’attractivité de son produit ou service – entendu régulièrement dans la bouche d’entrepreneurs enthousiastes : « J’ai le meilleur [insérer le nom du service/produit], ça va faire un malheur ! ». Le marché britannique, Londres en particulier, est encore un carrefour du monde et personne n’attend personne. Une offre attractive, au juste prix et au bon moment, étayée par une étude de marché solide, sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour envisager de réussir.
S’entourer de bons conseils professionnels – Le monde des affaires est légaliste, s’entourer des conseils d’un solicitor, un expert-comptable, une banque d’affaires ou un agent immobilier en amont d’un projet va de soi. Recherchez aussi l’appui des acteurs français – Business France ; Chambre de Commerce Française de Grande-Bretagne ; La French Tech pour ce secteur ; et les Conseillers du Commerce Extérieur UK bien sûr.
Des clients agnostiques sur l’origine de l’interlocuteur – On me demande assez souvent si le fait d’être Français présente un désavantage quand il s’agit d’aborder ce marché. La réponse est clairement négative. Ce qui compte avant tout est une offre performante au juste prix. Il faut tempérer cette constatation pour les produits agro-alimentaires, car le label France bénéficie bien sûr de sa bonne réputation. C’est aussi un pays multiculturel – la composition du gouvernement actuel en fait foi – beaucoup plus que dans les autres marchés européens.
Parlez et écrivez l’anglais. S’il est surprenant qu’il faille encore insister sur ce point en 2023, on constate malheureusement que trop nombreux sont les entrepreneurs français qui ne maîtrisent pas assez bien l’Anglais, ou qui sont piégés par les subtilités d’une langue plus compliquée qu’elle n’y paraît de premier abord. Cela s’applique à toute la communication de l’entreprise – site internet ; littérature commerciale ; documents juridiques; etc. Attention aussi aux aspects interculturels : si nous croyons connaître nos voisins, si proches (ce qui est trompeur), il faut prendre le temps de se familiariser avec les codes d’un pays qui surprendra toujours.
Le consommateur britannique est curieux de nouveautés. Cela offre des opportunités à un nouvel acteur, le corolaire est la possibilité de se trouver débordé à son tour par un nouvel arrivant. C’est donc un test grandeur-nature de compétitivité internationale, rester le meilleur est un test sans filet.
Nous entrons dans une période plus compliquée, avec un ralentissement notable de l’activité. L’inflation la plus élevée du G7 (6,3% en moyenne en août 2023, et près de 13,6% sur l’alimentaire) ; des taux d’intérêts les plus élevés depuis 15 ans (à 5,25%, le taux directeur fixé par la Banque d’Angleterre n’avait pas connu un tel niveau depuis février 2008) ; l’impact de ce taux directeur sur les emprunts immobiliers, décalé mais brutal (emprunts fixés sur 2, 3 ou 5 ans, avec augmentation vertigineuse des remboursements mensuels quand le taux fixe prend fin) ; des prix de l’énergie toujours élevé. Tout cela fournit un terreau favorable à une récession – le Gouverneur de la Banque d’Angleterre a d’ailleurs estimé sans subtilité que « c’est peut-être le prix à payer si cela jugule l’inflation ».

5) Pouvez-vous nous présenter votre action dans ce cadre ?

Le Comité UK des CCEF est actif sur nos 4 missions :

1 – Conseils aux pouvoir publics. Depuis quatre décennies, le Royaume-Uni a été un laboratoire grandeur-nature de réformes en profondeur d’un pays du G7, très comparable à la France. Les pouvoirs publics nous sollicitent donc beaucoup dans des exercices de parangonnages UK-France : quelles politiques publiques marchent ici, y a-t-il des leçons pour la France – positives et négatives ? Des réformes françaises des 20 dernières années ont vu le jour à la suite de nos recommandations.

2 – Appui aux entreprises. Nous offrons aux entrepreneurs intéressés par le marché UK de phosphorer avec eux sur leur projet, de servir de critiques constructifs pour tester leurs idées à l’épreuve de notre expérience de terrain et de leur ouvrir nos réseaux professionnels pour accélérer leur développement.

3 – Formation des jeunes à l’international. La mission formation est largement amputée du volet V.I.E., résultat direct du Brexit – les règles migratoires rendent la formule chère et bureaucratique (Visa) et le nombre des V.I.E. a littéralement fondu, alors que le pays en était depuis très longtemps l’une des destinations les plus populaires. Nos efforts se concentrent donc sur les échanges entre nos membres et les étudiants de campus londoniens d’écoles et universités françaises, très appréciés.

4 – Promotion de l’attractivité de la France. Rôle d’ambassadeur de notre pays, bien naturel, mais aussi participation au Comité Attractivité de notre Comité National, qui a développé depuis 10 ans l’Indice Attractivité de la France, un outil statistique qui mesure la perception de notre pays auprès des CCE et leurs interlocuteurs internationaux.

6) Et pour conclure ?

Je me félicite que les relations France – Royaume-Uni soient reparties sur des bases moins conflictuelles depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Rishi Sunak il y a près d’un an, le 25 octobre 2022. Cela mit fin à la période la plus difficile de l’histoire de nos relations que j’ai connue en plus de 35 ans – même l’invasion de l’Iraq en 2003, qui nous avait profondément divisé, n’avait pas eu un effet aussi toxique. Cette normalisation des relations bilatérales s’est concrétisée par la tenue du 36ème Sommet Franco-Britannique le 10 mars dernier à Paris, le premier depuis 5 ans. D’autres initiatives du monde des affaires viennent renforcer les efforts de coopération, tel le Forum UK-France, à l’initiative conjointe de la Chambre de Commerce Française de Grande-Bretagne (Londres) et de la Franco-British Chamber of Commerce and Industry (Paris), avec le plein soutien des Conseillers du Commerce Extérieur UK, du MEDEF et des autres acteurs de la Team France – French Tech et Business France.

La visite des souverains britanniques en France cette semaine vient cimenter notre entente, redevenue cordiale !

Olivier Morel | Président des Conseillers du Commerce Extérieur de la France au Royaume-Uni