Il y a quelque chose de pourri dans mon Royaume !

« Let’s not beat around the bush : the libertarian part of the party has taken control of the leadership »

Il y a tant à dire depuis ma dernière missive le 16 octobre 2021, par où commencer ? Un an passe vite, petite remise en contexte depuis l’automne 2021, entre autres : guerre en Ukraine ; changement de Premier ministre ; mort d’Elizabeth II, mettant fin au plus long règne d’un(e) souverain(e) de toute l’histoire du pays. Excusez du peu, avant même d’évoquer la semaine juste écoulée – comme dit l’adage, « a week is a long time in politics » : mini-budget du nouveau ministre des finances Kwasi Kwarteng le 23 septembre qui a provoqué une tempête sur les marchés boursiers, le marché des changes et forcé la Banque d’Angleterre à une intervention en urgence. Et deux voltefaces du même Kwasi Kwarteng et de Liz Truss, le tout en un mois, y compris une période de deuil de près de deux semaines où la politique a été mise entre parenthèses.


Le Parti Conservateur pris en otage par l’ultra-droite

« We’re f***cked ». Ca a le mérite d’être clair, j’ai failli l’utiliser comme titre! Propos sans ambiguïté d’un député conservateur recueilli par un journaliste au congrès annuel du Parti Conservateur à Birmingham en ce moment même. Et de conclure « Boris damaged our integrity, Truss is damaging our competency ». Chaude ambiance… Et Nick Timothy, ancien Chef de Cabinet de Theresa May, plus châtié, déclare : « Let’s not beat around the bush : the libertarian part of the party has taken control of the leadership »

La nouvelle Première ministre Liz Truss, après un processus électoral interne au Parti Conservateur interminable (8 semaines, on y reviendra) peut se targuer d’une entrée en fonction fracassante. Depuis sa nomination le 6 septembre :

 Les marchés boursiers de Londres ont perdu jusqu’à £500 milliards de dollars.

 Son Ministre des finances, qui s’est attiré le sobriquet de « KamiKwasi Kwarteng » sur les réseaux sociaux pour l’effet apparemment suicidaire de ses annonces sur l’économie, a réussi l’exploit (i) de s’attirer les remontrances du FMI qui exprime des doutes sérieux sur ses choix fiscaux, une intervention d’habitude réservée à un pays émergeant, pas un membre du G7 ; (ii) de faire chuter la livre sterling qui est tombée à son plus bas niveau de tous les temps contre le dollars et perd encore du terrain sur l’euro (plus bas depuis début janvier 2021) ; et de (iii) forcer la Banque d’Angleterre à remettre en route la planche à billets de toute urgence pour injecter 65 milliards de livres sterling en quelques heures pour éviter que les fonds de pension ne connaissent un épisode à la Lehman Brothers en septembre 2008.

 Le mini-budget du 23 septembre comportait des baisses d’impôts et charges, comme la suppression annoncée de la tranche marginale d’impôt sur le revenu de 45% qui aurait apparemment été financée par la suppression des aides aux plus pauvres (du Robin Hood à l’envers) – mesure que le Chancelier vient de supprimer face à la bronca dans son propre parti. Y figurait aussi l’abandon de la hausse des charges sociales d’avril 2022. Mais le pire est l’inconnue sur le financement de ces mesures. Pour ajouter à l’opacité de la nouvelle politique fiscale du gouvernement, déjà perçue comme entrainant un endettement supplémentaire de l’Etat sans visibilité sur les recettes pour financer les dépenses, comme celles consacrées (tardivement) à la lutte contre la hausse des prix de l’énergie, le Chancelier a décliné de soumettre ses mesures aux fourches caudines de l’Office for Budget Responsability (OBR). Cet organisme public mis en place par George Osborne, Chancelier conservateur entre 2010 et 2016, est chargé de fournir des prospectives et analyses indépendantes des politiques publiques planifiées par le gouvernement. Tous les prédécesseur de Kwasi Kwarteng ont travaillé main dans la main avec l’OBR, garant de lisibilité des mesures annoncées. Le Chancelier, droit dans ses bottes, persiste et maintien l’annonce formelle d’une Loi de Finance complète, mais pas avant le printemps 2023, avec quelques mesures fiscales de moyen terme pour le 23 novembre, soit deux mois après le mini-budget qui a provoqué ce tremblement de terre financier. Attendez, non ! On m’indique dans l’oreillette qu’il vient d’annoncer sa deuxième volteface, annonce avancée d’un mois, qui devrait rassurer les marchés en dévoilant les plans du Chancelier pour relancer l’économie (et il a encore le temps de rechanger d’avis avant que je finisse cet article).

L’impact quasi-immédiat de ces mesures déjà très mal reçues : retrait de plus de 40% des offres d’emprunts immobiliers, retirées du marché du jour au lendemain par les banques et building societies. Pourquoi ? Manque complet de visibilité du coût de l’argent pour les organismes prêteurs. La Banque d’Angleterre avait remonté son taux directeur de ‘seulement’ ½ point de pourcentage en septembre à 2,25%, avant la ‘bombe’ du mini-budget le 23 septembre. Dans la foulée des annonces du Chancelier, elle laisse entendre une sorte de ‘quoi-qu’il-en-coûte’ monétaire et financier pour juguler l’inflation (la plus élevée du G7) que les mesures du Chancelier ne font qu’exacerber. Comme l’a décrit plus d’un commentateur, la Banque d’Angleterre est obligée d’intervenir CONTRE le gouvernement, avec le pied sur le frein alors que le Chancelier appuie sur l’accélérateur. Le taux directeur pourrait atteindre 6% au printemps 2023, avec effet prévisible sur le financement des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages (renchérissement des emprunts immobiliers) et l’économie du pays. Parmi les exemples anecdotiques sur le mode ‘effet dans la vie quotidienne’ : cette jeune femme qui explique qu’elle avait un accord de principe sur un emprunt immobilier à 4,5% pour acheter son premier logement, offre remplacée le lendemain par un prêt à 10,5% !

 A deux ans des élections générales, les sondages donnent au Parti Travailliste une avance entre 19 et 33 points. Même si cet écart est susceptible de se resserrer au fur et à mesure que l’élection approche, le discours du chef de l’opposition Sir Keir Starmer au Congrès du Parti Travailliste la semaine dernière avait des accents de Tony Blair en 1996, à la veille du triomphe électoral du New Labour en mai 1997 qui avait écarté les Conservateurs du pouvoir pendant 13 ans. Pas étonnant que la majorité des députés conservateurs jugent très mal les débuts de la Première ministre (d’où le cri du cœur « We’re f***cked »). Ils s’inquiètent tout simplement pour leur siège. On rappellera que la majorité de ces députés conservateurs avaient voté pour son opposant Rishi Sunak dans le premier volet des élections internes pour désigner le chef du parti, avant que les 180 000 encartés Tories ne donnent à Liz Truss les clefs du 10 Downing Street en l’élisant cheffe des Conservateurs. Lequel Rishi Sunak, ancien banquier d’affaires et familier de la finance internationale, avait prévu au détail prêt l’impact sur les marchés des propositions de son opposante. Quasiment personnes n’écoutait – c’était l’été et l’auditoire n’étaient que les membres du parti.

 Pour ajouter aux ‘bonnes nouvelles’ à l’ouverture du congrès annuel du Parti Conservateur, les journaux du dimanche 2 octobre (en première du respecté The Sunday Time) relatent une réception organisée par des donateurs du parti Conservateur le soir du 23 septembre, quelques heures après le mini-budget, célébrant la politique économique et fiscale ultra-libérale du nouveau Chancelier qui a provoqué une tempête boursière et monétaire inédite. Ce petit groupe comprend des financiers qui ont bénéficié directement de ces annonces en pariant contre la livre sterling ces dernières semaines, ayant eu connaissance des projets du nouveau gouvernement. Beaucoup sont aussi d’ardents partisans du Brexit : « join the dots » comme l’on dit. Je vous laisse aussi juger de la boussole morale de gens qui se disent par ailleurs patriotes. Décidément, l’argent n’a pas d’odeur.

Pour terminer ce panorama édifiant d’un gouvernement d’ultra-droite, il faut ajouter que certaines réformes annoncées le 23 septembre auraient bénéficié aux contribuable avec un salaire brut annuel d’au moins 150 000 £ (le salaire moyen est de quelque £38 000). Le grand écart entre riches et pauvres continue sa progression avec les encouragements du Chancelier. Son entourage ne cache pas que sa politique bénéficiera effectivement aux plus riches, mais que l’effet de ruissellement (« trickle down », mis à la mode par Ronald Reagan en son temps) finira par enrichir tout le monde. Le volteface brutal sur la suppression du taux marginal de l’impôt sur le revenu de 45%, annoncé le 23 septembre, confirmé par la Première ministre le 2 octobre et supprimé par Kwasi Kwarteng le 3 au matin ne parvient pas à dissiper l’image extrême de la nouvelle administration. Les revirements brutaux (« U-turns ») ne font aussi que confirmer l’image d’amateurisme qui colle au nouveau gouvernement. Cette politique que Louis de Funès n’aurait pas reniée – « Les riches c’est fait pour être très riches, et les pauvres très pauvres » contraste avec la floraison des banques alimentaires, plus nombreuses que les restaurants McDonald. The Times écrivait même récemment qu’un quart des hôpitaux britanniques a créé une banque alimentaire sur site pour son personnel, qui abandonne ce métier si mal payé qu’il ne ’nourrit pas son homme’, littéralement. Et ceci dans un contexte post-Brexit de manque aiguë de personnel (les ressortissants européens fournissaient des bataillons de médecins et personnel médical au NHS, ils sont partis ou ne viennent plus au Royaume-Uni). Ajoutons enfin des listes d’attente pour la chirurgie élective qui s’allongent inexorablement depuis… 2010, quand les Conservateurs ont succédé aux Travaillistes.

L’expression « il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade » a rarement été aussi pertinente.

Finalement, je laisse la parole à Sir John Major sur la dérive anti-démocratique du Parti Conservateur et du gouvernement britannique depuis 3 ans : https://twitter.com/thattimwalker/status/1561462767277703172?s=12&t=-yVqifQYxc-9Fj-dPk2uWA


Quelle place pour la monarchie dans la vie politique et quotidienne du pays ?

Le décès de Sa Majesté la Reine Elizabeth II a créé une onde de choc. Cela semble un peu surprenant pour une dame de 96 ans – on songe aux paroles attribuées à Louis XIV, voyant ses courtisans éplorés au chevet de son lit de mort : « Pourquoi pleurez-vous, m’avez-vous cru immortel ? ». Je feins le cynisme car, malgré tout, le décès de la souveraine le 8 septembre et les cérémonies de ses obsèques le 19 septembre m’ont beaucoup plus ému que je ne l’aurais soupçonné. En passant, l’hommage vibrant et le message très personnel du Président de la République a beaucoup touché les britanniques – enfin, ceux qui sont bien disposés à l’endroit de la France. Une certaine presse n’a ensuite pas pu résister aux épithètes de mauvais goût sur ‘les baskets du président aux funérailles de la Reine’. Emmanuel et Brigitte Macron ont passé quelques heures à déambuler dans la capitale le dimanche 18 septembre, dans une ambiance si particulière pour cet évènement unique. Ils avaient bien sûr opté pour des chaussures appropriées pour une marche urbaine de plusieurs heures. Il a fallu que des journalistes mieux intentionnés rétablissent la vérité et précisent que les époux Macron s’étaient évidemment changés pour le volet protocolaire et officiel des cérémonies. Presse de caniveau britannique anti-française indécrottable.

Donc émotion malgré tout, pas que je m’attendais à quoi que ce soit : la relation du républicain que je suis avec la monarchie héréditaire, fut-elle parlementaire, a toujours été celle d’une indifférence polie.

L’effet de ces cérémonies grandioses a été double à mon sens.

 Confirmer l‘incroyable sens du devoir de la Reine pendant plus de 70 ans. Rappelons que son dernier engagement public – accepter la démission de Boris Johnson et inviter Liz Truss à former un nouveau gouvernement – a eu lieu deux jours avant sa mort. Au bout de 7 décennies, le devoir jusqu’au dernier souffle, littéralement.

 L’anachronisme de l’institution. Le public a démontré son immense respect pour la souveraine, faisant la queue (littéralement) jour et nuit pendant près d’une semaine pour lui rendre un dernier hommage en défilant devant le catafalque d’Elizabeth II au Westminster Hall. En passant, je ne résiste pas à un peu d’histoire, c’est le plus vieux bâtiment du Parlement de Westminster, bâti en 1097 sous le règne de William Rufus, fils de Guillaume le Conquérant, démonstration à peine voilée de l’incroyable longévité de l’institution monarchique. On a décrit ici et là le décès de la souveraine comme un tournant historique. A l’appui, un fait saisissant : Winston Churchill, son premier Premier ministre (elle en a connu 15, sans compter les dirigeants politiques des pays du Commonwealth) est né en 1874, en plein règne de la Reine Victoria. La même souveraine qui devint Impératrice des Indes et vit prospérer l’Empire britannique, empire qui dominera un quart de la population mondiale et un tiers des terres émergées à son apogée à l’aube de la Grande Guerre. Il est donc assez facile de verser dans la nostalgie, à coup de randonnées en tweed dans la lande écossaise, au son des cornemuses et à grand renfort d’anecdotes qui reflètent la personnalité attachante d’une souveraine pleine d’humour, francophone et francophile, et par définition hors normes. Elisabeth II sert donc de pont hautement symbolique et émotif avec un passé glorieux. Outre la peine ressentie à la disparition de ce personnage hors du commun, la perte de ce trait d’union avec ce passé donne un sentiment déprimant de déclassement soudain. Hors en réalité, cette rupture avec un passé triomphant avait déjà commencé avant même le début de son règne, au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale.

Le décès de la Reine n’est pas un tournant, il coïncide avec un tournant. Plus de six ans après le référendum qui a décidé de la sortie de l’UE, le pays est rattrapé par la farce politique qui ne s’est pas interrompue depuis juin 2016. Une succession de premiers ministres de plus en plus improbables, entourés de gouvernements de fidélité et pas de compétence. Liz Truss et la ‘performance’ de son Chancelier le 23 septembre en est la dernière incarnation extrême. Le fait que même Boris Johnson soit mentionné en possible recours montre à quel point ce pays est tombé au fonds de l’abîme. Le même Boris Johnson qui a été forcé d’annoncer son départ de la tête du Parti Conservateur, et donc du poste de Premier ministre, après la démission de plus de 50 ministres et secrétaires d’Etat en quelques heures, excédés par la persistance dans le déni de réalité du Premier ministre à propos des fêtes à répétition qui se sont tenus au 10 Downing Street pendant les confinements, et sa relation toute particulière avec la vérité. Son ignominieux départ a été qualifié d’exemple unique de « Sinking ship is fleeing the rat » par un chef de l’opposition Sir Keir Starmer en verve. Le même Boris Johnson qui est ensuite resté en poste pendant les semaines d’été de l’élection d’un nouveau chef des Tories, organisant son mariage ou jouant à Top Gun en prenant les commandes (brièvement !) d’un Typhoon de la RAF. Tout cela pendant que les Conservateurs prenaient des semaines pour organiser l’élection de leur nouveau chef, et donc d’un nouveau Premier ministre, alors que la maison britannique brûlait (littéralement) – urgence climatique ; flambée des prix de l’énergie ; pays en grève ; inflation galopante (la pire du G7) et crise du pouvoir d’achat. Concrètement, les ménages les plus pauvres se trouvent devant le choix de « Heat or Eat », se chauffer ou se nourrir.

Les Tories pourraient donc bien faire un énième pied de nez à la décence et à l’électorat en organisant à nouveau en leur sein l’élection d’un nouveau chef et donner au pays un énième Premier ministre avant les prochaines élections, prévues fin 2024, Boris Johnson ou un autre. Depuis plus de 6 ans, une seule chose est certaine : quand on croit avoir touché le fonds, les Conservateurs trouvent le moyen de continuer à creuser.

J’évoque l’anachronisme de la monarchie en 2022. Je ne veux pas parler des rétrospectives en mode sépia du long règne de la Reine. Elles évoquent un monde révolu de Bal des Débutantes et de tournée du Commonwealth à bord du Royal Yacht Britannia. Ces images surannées et nostalgiques continuent d’alimenter les chroniques de certains fans, particulièrement en France (phénomène qui m’amuse et me surprend à parts égales). Je fais référence à l’incapacité de la monarchie à enrayer cette décente aux enfers qu’a été le spectacle déplorable de ces 6 dernières années – voir le discours de Sir John Major plus haut. Je n’avais aucune illusion sur la capacité d’ingérence politique de la souveraine, qui est constitutionnellement nulle. Je m’étonne toutefois que les chantres de cette famille royale d’un autre temps plaident en faveur du caractère soi-disant stabilisateur de l’institution royale face aux vicissitudes de la vie politique pour justifier son existence aux frais du contribuable. S’il fallait une démonstration de l’absurdité de cette position, il suffirait d’observer ce qui se passe dans ce pays depuis 6 ans et demi. La raison même qui rend la monarchie impotente est qu’elle est constitutionnellement impotente.

Deux exemples pratiques.

 Fin août 2019, le Premier ministre Boris Johnson veut suspendre le Parlement pendant 5 semaines dans son bras de fer avec l’opposition – et une partie importantes de députés Conservateurs – sur les termes de l’accord avec l’UE, alors en pleine négociation. Il voulait simplement se passer d’un débat démocratique dont il savait l’issue très incertaine. Cette suspension fut finalement jugée illégale par la Cour Suprême, une cour écossaise jugea même que le Premier ministre avait menti à la souveraine pour obtenir son assentiment. Il y eut à l’époque un bref débat constitutionnel sur la possibilité que la monarque intervienne dans ce débat politique en refusant la demande de son Premier ministre, tant cette demande était une violation flagrante des fondements même de la démocratie parlementaire. Il n’en fut bien sûr rien, le monarque devant rester totalement apolitique. Il aura fallu une intervention de la Cour Suprême pour renverser la décision, la souveraine restait désarmée. Il semble donc évident que le rôle soi-disant stabilisateur des souverains britanniques relève plus du fantasme des fans de la famille royale que de la réalité constitutionnelle et politique quotidienne.

 Les journaux du dimanche 2 octobre, The Sunday Times parmi d’autres, rapportent que Liz Truss s’est opposée à ce que le Roi Charles III prononce un discours lors de la prochaine réunion de la COP27 à Sharm El-Sheikh, ou même qu’il assiste à ce sommet environnemental de premier plan. Le monarque, dont on connaît la passion sincère et de très longue date pour ce sujet fondamental, s’est plié à la demande de sa Première ministre. Autre exemple s’il en était besoin que la politique de court terme prime sur la volonté royale.

Je concède cependant bien volontiers que la famille royale est un élément important du soft power de ce pays : les britanniques sont champions du monde du « Pomp and Circumstances », dont les funérailles de Sa Majesté Elisabeth II furent une démonstration somptueuse.


Il faut réformer la Constitution

Le mode d’élection de Liz Truss au poste de Première ministre a mis en lumière un problème de déficit démocratique d’un volet important des institutions britanniques.

Rappel : elle a été nommée à son poste après un premier vote des députés conservateurs (113 sur 357 – 32% – ont voté pour elle, avec seulement 8 voix d’avance sur Penny Mordaunt, arrivée troisième et éliminée du scrutin). Face à son opposant Rishi Sunak (137 voix des députés), l’actuelle Première ministre rassemble ensuite 57% des suffrages des quelque 180 000 membres du Parti Conservateur, soit à peine 0,3% de la population du pays, qui compte par ailleurs 46,5 millions d’électeurs. Ne parlons pas du caractère très peu représentatif des encartés du parti – démographiquement, géographiquement et sociologiquement. Portrait-robot du membre typique du Parti Conservateur : un homme blanc, plutôt âgé (âge médian 57 ans), aisé et éduqué (ABC1), vivant dans le sud du pays hors de Londres, et ayant voté pour le Brexit.

Je ne remets pas en cause un système par pur principe ou par dépit. L’élection d’un nouveau chef au sein du parti est un système qui a fait ses preuves dans le passé. Depuis 1900, 17 nouveaux premiers ministres sur 28 ont été nommés en dehors d’une élection : leur parti les a remplacé et le nouveau chef est devenu Premier ministre – John Major, Gordon Brown ou Theresa May ont ainsi accédé aux plus hautes fonctions. Tout ceci marchait très bien sur la base des usages et conventions, certaines non-écrites, et en se reposant sur le principe du « Honorable Chap » – la classe politique, au-delà de désaccords parfois très violents, s’en tient à un code de conduite qui dicte qu’il y a ‘des choses qui ne se font pas’. L’arrivée au pouvoir de Boris Johnson dans les mêmes conditions en juillet 2019, et sa ‘relation très particulière à la vérité’ comme certains l’ont abondement décrit, a entamé la crédibilité des institutions – cf Sir John Major ci-dessus. Mais au moins le Parti Conservateur a-t-il été réélu en décembre 2019 avec la plus forte majorité depuis Margaret Thatcher dans les années 1980. Il serait difficile de contester à Boris Johnson sa légitimité électorale, quel que soit l’opinion qu’on se fasse du personnage.

En fin de compte, c’est le spectacle du Parti Conservateur qui a passé l’été à se regarder le nombril, refusant de gérer toutes les urgences auquel le pays fait face et après plus de 6 années de déliquescence de la vie politique, qui m’a convaincu qu’une revue d’inventaire des institutions – sinon une mise à plat complète – est plus que jamais à l’ordre du jour.

Bien amicalement.

Olivier Morel
5 octobre 2022

Brexit is so last year darling…

Fin décembre 2020, après la signature du Traité, je me réjouissais avec soulagement d’avoir eu tort – j’avais écrit peu après le vote de juin 2016 que le processus de sortie prendrait une décennie. Hors 5 ans et demi après le référendum, loin de passer à autre chose, les britanniques ouvrent une nouvelle phase de négociation. C’est ‘frustrant’ comme dit le fameux euphémisme anglais ! Et malgré tout, les entrepreneurs continuent d’entreprendre

Le Royaume-Uni est réellement sorti de l’UE le 1er janvier 2021 – la sortie ‘officielle’ reste le 31 janvier 2020, mais la période de transition de 11 mois a maintenu le status quo ante. Alors que la pandémie semble (peut-être ?) en voie d’être maitrisée, et qu’on pensait enfin pouvoir passer à autre chose de plus constructif en 2022, voilà que Brexit se réinvite au menu des dossiers chauds. Une affaire qui n’en finit pas de finir…

Royaume-Uni automne 2021, ou le paradoxe de Schrödinger

En 1935, le physicien allemand Ernst Schrödinger a exposé sa fameuse expérience (théorique !) du chat simultanément mort et vivant comme une illustration de ce qu’il pensait être un aspect absurde de la nouvelle théorie de la mécanique quantique exposée par ses collègues Einstein, Podolsky et Rosen. La théorie dominante dit qu’un système quantique reste en superposition jusqu’à ce qu’il interagisse avec, ou soit observé, par le monde extérieur. Lorsque cela se produit, la superposition s’effondre dans l’un ou l’autre des états définis possibles – le ‘paradoxe’ du chat simultanément mort et vivant à en croire Schrödinger.

Les spécialistes de la physique quantique me pardonneront ce raccourci un peu ‘Wiki’ qui ne fait justice ni à la physique quantique ni à ces illustres physiciens. C’est toutefois la meilleure explication sur l’état du pays, qui semble vivre ce paradoxe de Schrödinger – en mode Brexit, le pays est simultanément dans un état et son contraire :

= > les automobilistes font la queue aux stations-services qui se vident de carburant en quelques heures MAIS en même temps il n’y a pas de pénurie d’essence

= > le pays a quitté le Marché Unique, mettant fin à la libre circulation des personnes et a instauré un nouveau régime migratoire, MAIS en même temps cela n’a rien à voir avec le départ de nombreux ressortissants européens et la pénurie de main d’œuvre dans les secteurs de l’hospitalité, de l’agro-alimentaire et des transports routiers, qui provoque de fortes perturbations dans les chaines de distribution

= > le gouvernement de Boris Johnson a célébré son succès d’avoir négocié et signé l’Accord de Commerce et de Coopération avec l’EU le 24 décembre 2020 et le Protocol on Ireland/Northern Ireland (le Protocole, signé en parallèle de l’accord de retrait); c’était la réalisation de sa promesse d’un Brexit « oven-ready » pour reprendre le slogan de sa campagne électorale aux élections du 12 décembre 2019 qui lui ont donné la plus forte majorité conquise par les Conservateurs depuis 1987), MAIS en même temps le gouvernement dénonce cet accord qu’il a négocié et signé il y a moins d’un an comme mauvais pour l’Irlande du Nord et menace de déclencher l’Article 16 comme prélude à une renégociation du Protocole

= > la Ministre de l’Intérieur Priti Patel célèbre la fin de la libre circulation devant les fidèles du Parti Conservateur en extase, MAIS en même temps le gouvernement prévoit l’émission de 5 000 visas d’urgence aux chauffeurs routiers européens pour faire face à la grave pénurie de main d’œuvre dans ce secteur ; dans la même veine, le Ministre des Transports Grant Shapps autorise le ‘cabotage’ par les camionneurs européens au Royaume-Uni (capacité à opérer dans le marché domestique britannique), sans que les routiers britanniques n’aient le même accès au marchés européen; les réseaux sociaux ironisent sur la soi-disant reprise de contrôle des frontières qu’on croyait synonyme avec Brexit

= > les entreprises sont seules responsables de cette pénurie, tellement elles sont ‘dopées’ à la main d’œuvre bon-marché importée ; le gouvernement les enjoint de recruter localement et de payer décemment, MAIS en même temps les Conservateurs au pouvoir depuis plus d’une décennie se sont fait les chantres de la ‘flexibilité’ de la main d’œuvre et promu les contrats précaires (« zero-hour contracts »).

La liste est longue de ces paradoxes qui démontrent – le fallait-il ? – que Brexit n’est pas ancré dans la réalité mais la poursuite avec un zèle quasi-religieux et contre toute logique d’un futur idyllique qui n’existe évidemment pas. Tout n’est pas ‘la faute à Brexit‘ évidemment, mais la capacité des zélote du Brexit à dire tout et son contraire , avec un aplomb sans parallèle, continue à générer une sorte d’horrible fascination.

Un dernier paradoxe est que malgré ce climat politique délétère, le chômage est au plus bas, l’économie se redresse et l’activité de fusions & acquisitions (baromètre comme un autre) est florissante.

Nostalgie et fake news, toujours les deux mamelles du Brexit

L’automne est la saison des congrès annuels des partis politiques et le climat ‘sous-la-tente-avec-les-fidèles’ n’est pas propice à la modération et la nuance. Outre les incantations aux entreprises à mieux payer leurs salariés que j’ai déjà mentionnées, on a assisté à un basculement sur la communication post-Brexit. Les Brexiters avaient clamé pendant la campagne pour le référendum de 2016 que les lendemains seraient radieux, à grands renforts de « fake news » sur, entre autres, la vague migratoire incontrôlée – l’équivalent de la population totale de la Turquie pourrait tenter de rentrer au Royaume-Uni, entre autres énormités. Puis les même Brexiters ont passé le plus clair des 4 années suivantes à pester contre les Remainers qui sabotaient leur beau projet – oubliant assez vite qu’ils avaient eux-mêmes rejeté l’accord négocié par Theresa May et qui n’introduisait pas de frontière en Mer d’Irlande (le sujet qui fâche du moment).

Devant les preuves de plus en plus irréfutables des effets réels du Brexit ¹ la nouvelle posture est que la transformation du pays ‘grâce au Brexit‘ sera bien sûr un peu difficile, le pays doit d’adapter à un nouveau contexte, mais l’eldorado n’est pas loin, le jeu en vaut la chandelle, retrouvons l’esprit du Blitz, etc. ! Entretemps, habituez-vous aux ruptures de stock intempestives dans les supermarchés, à faire la queue à la station-service et à ne pas trouver de dindes pour Noël (ou alors elles seront discrètement importées de France et de Pologne car les éleveurs locaux n’ont pas assez de main-d’œuvre qualifiée, laquelle venait d’Europe de l’Est à la belle époque de la libre circulation). Cette sorte d’incantation qui se donne des accents de Churchill à la petite semaine s’accompagne d’un appel à un retour à un passé forcement radieux. Ian Duncan-Smith (IDS, ancien chef éphémère et palot des Conservateurs en 2001-2003, dans les années post raz-de-marée New Labour), voulant encourager les britanniques à revenir travailler à leurs bureaux, écrit dans le Daily Mail que « dans les années 40, ils [nos aïeux] continuaient à venir au bureau sous les bombes d’Hitler »… Cette nostalgie d’un passé révolu qui était forcément paradisiaque est l’un des ressorts importants du Brexit – de manière perverse, elle est souvent invoquée par ceux qui n’ont pas vécu ce passé traumatique, mais par la génération suivante. Les tweets ironiques ont répondu à IDS que l’internet et Zoom n’existaient pas encore en 1940, d’autres ont soulignés que des centaines de milliers de gens, y compris des fonctionnaires, avaient été évacués en province au début de la Deuxième Guerre Mondiale.

French bashing

Dans ce climat délétère, les relations avec la France sont au pire. On mentionnera pêle-mêle : la pêche ; les sous-marins australiens ; la traversée de la Manche par des masses de migrants illégaux que la France laisse passer (bien sûr). Il faut s’attendre à ce que le French bashing, la rhétorique et les mauvaises blagues anti-françaises, continuent de prospérer, avec force référence à la Deuxième Guerre Mondiale dans la presse de caniveau qui est une spécialité locale. Je faisais observer récemment à un ami journaliste français établi à Londres qu’en plus de 33 ans de relations personnelles et professionnelles France – Royaume-Uni, je n’avais jamais connu pire. « Même en 2003 et la deuxième guerre irakienne ? » observait-il. Oui, même comparé à cet épisode très grave dans nos relations – laquelle s’est rétablie assez vite sur la base d’une confiance mutuelle renouvelée (les Traités de Lancaster House de 2010 sur la coopération en matière de défense et de sécurité en sont un excellent exemple). La différence entre 2003 et 2021 ? La nature et le comportement du personnel politique au pouvoir au Royaume-Uni en 2021, soit un gouvernement plus axé sur la fidélité que sur la compétence. Je viens de visionner « Blair & Brown : The New labour Revolution », documentaire de la BBC retraçant la genèse de la montée au pouvoir des deux premiers ministres travaillistes et leur règne de 13 années. Qu’on adhère ou pas aux choix politiques du New Labour, le film provoque d’abord un fort sentiment de nostalgie pour cette période dorée du « Cool Britannia » et du « Britain is Great » (ce slogan très habilement décliné par les pouvoirs publics pour ‘vendre’ la destination Royaume-Uni aux investisseurs du monde entier avec énormément de succès). Ce film met aussi en évidence l’intelligence visionnaire de gouvernements successifs qui, s’ils ont bien sûr commis des erreurs, ont transformé la société britannique en profondeur. Enfin, ils avaient aussi la compétence et le talent pour gouverner, au-delà des choix politiques auxquels on est libre d’adhérer (ou pas). C’est dire à quel niveau nous sommes tombés que d’admirer la simple compétence d’un gouvernement… Le gouffre qui sépare les années Blair-Brown du gouvernement actuel est proprement abyssal.

L’Irlande se réinvite malgré elle dans le débat et la négociation reprend…

Les conséquences pour l’Ile d’Irlande avaient été largement oubliées dans la campagne du référendum – en Angleterre en tout cas. Comme on le sait, le sujet est devenu LE point d’achoppement de la séparation. La solution finale est bancale car elle tente une cadrature du cercle impossible : (i) absence de frontière entre le Nord et le Sud ; (ii) l’Irlande du Nord reste dans le marché unique de marchandises de l’UE mais ; (iii) continu d‘être une partie intégrale du Royaume-Uni, établissant de facto une frontière interne au Royaume-Uni (en Mer d’Irlande) – solution que Theresa May avait d’ailleurs rejetée (« Aucun Premier ministre britannique n’accepterait de séparer l’Irlande du Nord du reste du pays »). Le Traité signé le 24 décembre 2020 et le Protocole irlandais établissent de fait cette frontière. Il était prévu une prolongation de la période de transition (pas de contrôle en Mer d’Irlande) jusqu’en avril 2021. Il s’agissait de laisser le temps au Royaume-Uni de mettre en place les mesures de contrôle à la nouvelle ‘frontière’. En mars, le gouvernement annonçait qu’il prolongeait unilatéralement ce moratoire au moins jusqu’en octobre. Nous sommes donc à un énième moment de vérité pour le Brexit : l’UE a fait cette semaine des propositions pour tenter de sortir de l’impasse, à savoir des assouplissements dans les conditions de contrôle de la nouvelle frontière de Mer d’Irlande, éliminant dans certains cas la grande majorité des contrôles sur l’axe Grande-Bretagne < = > Irlande du Nord, en particulier sur les produits alimentaires. Développement bien accueilli par les PME nord-irlandaises. De son côté, le gouvernement britannique ‘prépare le terrain’, mais au lieu de déminer, il envoie des signaux très agressifs sur ses intentions d’enclencher les mécanismes de règlement des différends du Protocole, en particulier le fameux Article 16 qui permet à chacune des parties de prendre des mesures unilatérales si sa mise en vigueur provoque « des difficultés sérieuses et pérennes en matière économique, sociétale ou environnementale ou une perturbation significative des échange commerciaux ».

Donc c’est finalement sous la pression du gouvernement britannique qui a publié ses demandes en juin dernier que l’UE vient de faire des propositions (le 13 octobre) pour aménager les conditions d’application du Protocole. L’approche des britanniques est de demander l’impensable, c’est-à-dire une réécriture du Protocole qu’ils ont négocié et signé il y a quelques mois. Ils constatent que cette méthode obtient des résultats puisque l’UE revient à la table des négociations, même à contrecœur. Ce qui démontre qu’être conciliant peut dans certains cas n’amèner que des demandes supplémentaires – on a en tête une comparaison audacieuse (je pense Sudètes et Munich…). Une PME basée en Irlande du Nord confiait par ailleurs que le fait d’être restée dans le Marché Unique de marchandises après le 31 décembre dernier avait été une aubaine – et on rappellera enfin pour mémoire que la province a voté majoritairement pour rester dans l’UE en juin 2016.

Le 12 octobre, veille de la publication des propositions de l’UE, Sir David Frost, négociateur en chef du Traité et membre du gouvernement, répétait les griefs du Royaume-Uni dans un discours à Lisbonne. Illustration parfaite des deux approches fondamentalement différentes : l’UE accepterait d’aménager les conditions d’application du Protocole, alors que les britanniques veulent tout bonnement le réécrire. Ils en rajoutent, en remettent en cause le rôle de la CJUE comme instance de règlement des différends.

Ça pourrait mal finir

Le risque d’une escalade est réel – l’UE réfléchit déjà à la meilleure manière de réagir aux infractions persistantes du Royaume-Uni, qui a franchi une étape supplémentaire avec cette annonce par la bouche de Lord Frost que le Protocole n’a plus de sens. Il sait aussi pertinemment que remettre en cause le rôle de la CJUE est une ligne rouge de l’UE. S’ajoute en toile de fonds une petite musique discordante émanant de certains extrémistes sur la nécessité de renégocier le Good Friday Agreement (1998). Ce texte est fondateur de la paix irlandaise et la base de la fin des « Troubles » comme on appelle pudiquement la la guerre civile de près de trente ans en Irlande. Pour le gouvernement irlandais et Bruxelles, c’est « no pasaran !»

S’il devient apparent que les britanniques ne s’engagent pas dans le nouveau processus de négociation avec sincérité, les options pour l’UE :

= > ‘frappes chirurgicales’ – sur la pêche ; sur les services financiers (un accord est toujours en négociation) ; l’énergie ; etc.
= > option ‘nucléaire’ – suspension ou dénonciation du Protocole, c.-à-d. application stricte des barrières douanières ; mais l’UE a-t-elle les moyens de mettre en vigueur des mesures qu’elle a en fait déléguées au Royaume-Uni, car cette ‘frontière’ Irlande du Nord < = > Grande-Bretagne se trouve à l’intérieur du Royaume-Uni ?

Ça va être pire avant de s’améliorer, sans empêcher les entrepreneurs d’entreprendre

Fin décembre 2020, après la signature du Traité, je me réjouissais avec soulagement d’avoir eu tort – j’avais écrit peu après le vote de juin 2016 que le divorce prendrait une décennie. Hors 5 ans et demi après le référendum, loin de passer à autre chose, s’ouvre une nouvelle phase de négociation. C’est ‘frustrant’ comme dit le fameux euphémisme anglais…

Nous entrons dans une période compliquée, ce qui est rageant car il semblerait que l’économie se redresse et que malgré les nombreux défis, notre dialogue avec les entreprises fait état d’une année 2022 fructueuse d’opportunités. N’est-il pas ironique d’ailleurs que les apôtres du Brexit soient maintenant forcés d’en retarder la pleine application face aux difficultés liées à la fin de la libre circulation qui en était un des piliers ? Le marché a finalement raison. Et double ironie puisque les Brexiters au pouvoir sont des chantres du laisser-faire et du moins d’Etat, hors ils sont contraints d’intervenir pout mitiger les effets négatifs de leur cher Brexit. Les même Brexiters s’étaient opposés en son temps à l’accord négocié par Theresa May car la nouvelle relation avec l’UE auraient toujours été trop conviviale à leur goût – cette sorte de purgatoire avait reçu le sobriquet de «BRINO» (« Brexit In Name Only »). Est-on en train d’assister à un BRINO rampant ?

Pour terminer sur une note positive, il est rassurant d’entendre les PME d’Irlande du Nord se montrer favorables à la continuité de relations commerciales étroites avec la République. Il semblerait finalement que le commerce l’emporte et que les entrepreneurs continuent d’entreprendre, malgré les gesticulations politiques, aussi nauséabondes soient-elles.

Passez une belle fin d’automne.

Olivier MOREL
16 octobre 2021

¹ Consulter avec profit la ‘comptabilité’ tenue par R Daniel Kelemen, Professor of Political Science and Law and Jean Monnet Chair in European Union Politics at Rutgers University https://twitter.com/rdanielkelemen/status/1348964732104007680

La rentrée de tous les dangers

« C’est très dangereux de se tenir au milieu de la route : on se fait renverser par les deux côtés » – Margaret Thatcher

Trois semaines de vacances paradisiaques sans réseaux sociaux – en passant, tout à fait d’accord avec Gaspard Koenig[1]– mais en rentrant j’ai retrouvé Brexit, qui a bien sur repris sa place, c’est-à-dire en écrasant tout le reste. Plus ça change…

« No deal is better than a bad deal »

Le gouvernement a sifflé la fin de la recréation estivale le 23 août, en publiant une première série de notes de synthèse sur les conséquences éventuelles d’une sortie de l’UE sans accord, le 29 mars 2019. Ces notes techniques et les directives émises par les différents ministère sont un exercice de grand écart politique : (i) elles doivent rassurer le pays que le gouvernement, administration responsable, se prépare à toutes les éventualités ; (ii) sans toutefois provoquer de  panique ; mais le Ministère de la Santé y enjoint le secteur pharmaceutique à constituer des stocks supplémentaires de 6 semaines, au cas où – je vous laisse juger si ce type de recommandation est de nature à rassurer le public… ; (iii) la publication de ces notes doit aussi tenter de convaincre Bruxelles que le UK est prêt à repartir les mains vides plutôt que d’accepter un mauvais accord – le fameux leitmotiv de Theresa May « No deal is better than a bad deal » ; (iv) qui se combine avec le quatrième objectif : Theresa May tente de conserver ce qu’il reste de cohésion au Parti Conservateur : « no deal » doit être à la fois désastreux – pour que le très peu convaincant «Chequers’ Plan »[2] face comparativement bonne figure et que ses députés ne le remettent pas en cause au moment de ratifier l’accord signé avec l’UE dans quelques semaines – et ce même « no deal » doit aussi apparaitre complètement normal pour apaiser les Brexiters de son parti.

La précarité de la position du gouvernement – et la persistante absurdité qui semble coller à tous les sujets Brexit – est illustrée ainsi : non seulement le Chequers’ Plan a été rejeté très tôt par Bruxelles (essentiellement incompatibilité avec les 4 libertés garanties par le marché unique), mais aussi par les Brexiters, réussissant l’exploit de mettre d’accord les eurosceptiques britanniques et Michel Barnier.

Boris Johnson continue de tirer le débat vers l’abysse populiste

L’ancien Ministre des Affaires étrangères, récemment libéré de la solidarité gouvernementale par sa démission après la publication du Chequers’ Plan (solidarité qu’il traitait d’ailleurs avec beaucoup de désinvolture, même au sein du gouvernement), a aussi marqué sa rentrée par des attaques en règle contre Theresa May. Retourné à ses premières amours comme chroniqueur du quotidien pro-Brexit The Daily Telegraph (où il emmargerait à 275 000 £ par an[3]), il n’a de cesse de détruire le peu de crédibilité qui reste à la Première ministre. Si je ne craignais pas de descendre à son niveau, je qualifierais sa dernière chronique (parut le week end dernier dans le Mail on Sunday, un autre parangon d’orthodoxie pro-Brexit), de ‘bombe’, décrivant ainsi la position de négociation du gouvernement : « We have wrapped a suicide vest around our constitution and handed the detonator to Brussels ».

Même si cette dernière sortie effarante lui a valu des condamnations sans appel de certains collègues sur les bancs du Parti Conservateur, nous ne devrions plus être étonnés des saillies narcissiques de Boris Johnson, un homme qui ne reculerait devant rien pour le plaisir d’une formule choc n’ayant qu’un rapport très lointain avec la réalité. Il sait que cela séduit nombre de militants du Parti, si ce n’est ses collègues députés.

 Automne politique chaud

L’automne est la saison des congrès annuels des partis politiques. Hors le climat ‘sous la tente avec les fidèles’ a fâcheusement tendance à engendrer des discours enflammés peu propice à apaiser le débat. En 2016, Amber Rudd, nouvellement nommée Ministre de l’Intérieur, succédant dans ce rôle à la Première ministre et voulant sans doute gagner ses galons de bon soldat exécutant la ‘volonté du peuple’ (le résultat du référendum), avait déclaré que toute entreprise qui employait des ressortissants de l’Union Européenne non-britanniques devrait les ficher… Même dans le camp pro-Brexit, cette sortie maladroite avait provoqué des haut-le cœur[4].

Deux ans plus tard, alors que la date fatidique du 29 mars 2019 approche (trop) vite, le climat politique est sous haute tension : Theresa May est sous la menace quasi-permanente d’une remise en cause formelle de son mandat de chef du parti – et donc de Premier ministre[5] – et les candidats à sa succession ne manquent pas, y compris Boris Johnson. La position délicate de la Première ministre me remet en mémoire des expressions imagées de deux personnalités hors normes de l’histoire britannique : Margaret Thatcher décrivant ce qu’elle pensait du compromis en politique : « C’est très dangereux de se tenir au milieu de la route : on se fait renverser par les deux côtés ». En essayant de gérer les attentes des Brexiters et Remainers, Theresa May ne satisfait personne et risque de faire les frais de son opération d’équilibriste.

Winston Churchill pour sa part décrivait ainsi la politique d’apaisement du gouvernement britannique vis-à-vis de l’Allemagne avant guerre : « Un partisan de l’apaisement est celui qui nourrit un crocodile en espérant qu’il le mangera en dernier ». Theresa May a-t-elle trop joué l’apaisement vis-à-vis des ardents Brexiters, nourrissant ainsi le crocodile pro-Brexit ? Les semaines qui viennent risquent d’être infestées de sauriens avec les pires intentions…

Jeremy Corbyn, chef controversé du Labour, qui n’arrive pas à faire décoller son parti dans les sondages alors que les Tories sont en pleine déconfiture, et récemment empêtré dans un débat délétère sur le racisme et l’antisémitisme au sein de son parti.

Le parti Liberal Democrats, le seul qui soit officiellement pro-européen et anti-Brexit (avec les Ecologistes) est inaudible.

Ce n’est donc sans doute pas un hasard si Bruxelles émets des signaux positifs depuis quelques jours : Michel Barnier laisse entendre qu’il est toujours réaliste de penser que lle Royaume-Uni et l’Union Européenne signeront l’accord de séparation d’ici « six à huit semaines ». Même si la position de fonds de l’Union, très claire depuis le début des négociations, n’a pas changé, le ton compte énormément. A un moment où les négociations atteignent leur point d’orgue, personne n’a intérêt à être face à un interlocuteur en déroute – ou pire, à se retrouver avec un autre interlocuteur.

Distinguer le politique de l’économique

Le gouvernement a décrit les conséquences possibles d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne sans accord le 29 mars 2019 dans les notes techniques qu’il vient de publier. Des opposants au Brexit enfoncent le clou et peignent une vision apocalyptique en cas de sortie désorganisée : frontières bloquées ; autoroutes d’accès au port de Douvres paralysées ; bouchons de centaines de kilomètres ; pénuries de nourriture, de médicaments et de carburant ; police annulant tous les congés pour faire face à ce que le gouvernement appelle pudiquement ‘troubles de l’ordre public’ (lire ‘pillage’) ; etc.

Dans ce climat fébrile, les entreprises, françaises entre autres, s’interrogent sur le climat des mois à venir. Si les 30 derniers mois nous incitent à éviter toute prévision – qui a vu arriver Brexit, Donald Trump et Emmanuel Macron ? – et même si je me sens un peu ‘disque rayé’, constatons quand même que l’économie continue de défier les prévisions moroses pré- et post- référendum – la croissance 2017 a été de 1,8%[6], pas mirobolant mais loin de la catastrophe annoncée par certains. Le premier semestre 2018 a été plus modeste, à 0,6%, mais les chiffres pour le trimestre ‘glissé’ mai–juillet 2018 sont en amélioration à 0,6%, emmené par les services, le BTP et le commerce de détail – la météo très clémente et la Coupe du Monde ont joué un rôle important (une place en demi-finale était totalement inespérée). L’OCDE prévoie ainsi une croissance 2018 de 1,4%[7]. Le Royaume-Uni reste un membre du G7 et la cinquième économie mondiale, à quasi-égalité avec la France[8]. Un pays solvable de plus de 66 millions de consommateurs, dynamique et qui a su démontrer sa résilience dans le passé. Le chômage continue de battre des records historiques, 4% sur la période mai–juillet 2018 – quoique le débat s’intensifie sur les fameux « zero-hour contracts » qui huilent les rouages d’une économie si ‘flexible’[9] ; le gros bémol  dela faible productivité continue de défier analyses et remèdes.

Le volume très important des échanges commerciaux entre le pays et l’Union Européenne ne va pas cesser : à eux-seuls, 6 pays – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie – ont absorbés près de 40% des exportations du Royaume-Uni en 2016. Ce pays échange plus d’un milliard d’euros par semaine de biens et services avec la République d’Irlande ; les exportations vers cette même Irlande sont plus importantes que vers la Chine, l’Inde et le Brésil combinés.

 Conclusion : achetez des boules Quiès à filtre anti-Brexit

Dans la perspective de plusieurs semaines où le ton politique va s’enflammer, j’ai envie de conseiller à mes interlocuteurs de ne pas lire ou écouter quoi que ce soit qui émane du personnel politique ou d’une certaine presse sur Brexit, probablement jusqu’à fin novembre – sauf quelques voix restent censées dans la cacophonie, liste non exhaustive en bas de page.

Bonne rentrée !

Olivier MOREL

14 septembre 2018


 

A lire et suivre avec profit, noms et adresses tweeter :

Eric Albert, @IciLondres  |  Mark Boleat, @markboleat  |  Ian Dunt, @IanDunt  |

Janan Ganesh, @JananGanesh  |  Charles Grant, @CER_Grant ; @CER_EU  |

Mark Gregory, @MarkGregoryEY  |  Faisal Islam, @faisalislam  |

Sophie Pedder, @PedderSophie  |  John Peet, @JohnGPeet  |

Wolfgang Munchau, @EuroBriefing  |  Jean-Claude Piris, @piris_jc  |

Andrew Sentance, @asentance  |  Philip Stephens, @philipstephens  |

Martin Wolf, @martinwolf_  |

et

Marina Hyde, @MarinaHyde – ton acerbe, irrévérencieux et inclassable


[1] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0302204631461-pourquoi-il-faut-fuirtwitter-et-facebook-2202133.ph

[2] Chequers est la résidence secondaire du Premier Ministre britannique. Theresa May y a dévoilé son Plan Brexit lors d’un séminaire du gouvernement le 6 juillet 2018, provoquant la démission de David Davies, Ministre responsable de la sortie de l’UE et principal interlocuteur de Michel Barnier, et Boris Johnson, Ministre des Affaires Etrangères, tous deux ardents Brexiters.

[3] Soit plus de 300 000 € ; il avait dû abandonner cette chronique lorsqu’il avait rejoint le gouvernement de Theresa May à l’été 2016 ; il avait d’ailleurs fameusement qualifié ses émoluments de chroniqueur (250 000 £ à l’époque), qu’il combinait encore avec son rôle de Maire de Londres, de « chicken feed » (roupie de sansonnet).

[4] Amber Rudd avait fait une campagne de référendum pro-européenne vigoureuse, dénonçant régulièrement les grossières promesses et autres mensonges des Brexiters sur les soi-disant avantages du Brexit ; on a dit que cette annonce provoquante au congrès du parti était aussi pour elle un moyen de gagner en crédibilité vis-à-vis de ses collègues Brexiters.

[5] Le chef du parti majoritaire à la Chambre des Communes forme un gouvernement ; en cas de changement au sein du parti entre 2 élections, le nouveau chef du parti devient Premier Ministre automatiquement – Gordon Brown succède ainsi à Tony Blair en 2007 ; Theresa May à David Cameron le 13 juillet 2016.

[6] https://data.oecd.org/gdp/real-gdp-forecast.htm#indicator-chart

[7] voir [6].

[8] https://www.weforum.org/agenda/2018/04/the-worlds-biggest-economies-in-2018/

[9] Lire avec profit « Hired: six Months Undercover in Low-Wage Britain », James Bloodworth, sur la face cachée de la « gig economy ».